Défis et triomphes de la liberté d’expression en ligne: entre viralité et censure gouvernementale

Droit fondamental des sociétés démocratiques, la liberté d’expression incarne la quintessence de la société libre. Au cœur de cette notion réside la conviction profonde que chaque individu a le droit de penser, de parler et d’exprimer ses idées sans crainte de répression ou de censure. Cette liberté nourrit non seulement la diversité des opinions, mais aussi le progrès de la société : elle représente aussi un moteur puissant de progrès intellectuel et social. Si la liberté d’expression avait été pleinement garantie dans les siècles passés, peut-être aurions-nous entendu les voix audacieuses clamer haut et fort « et portant elle tourne ! » bien avant que cela ne soit scientifiquement prouvé.

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Une vraie liberté d’expression en ligne?

Aujourd’hui, dans un monde où chaque clic se transforme en acte communicatif, la question de la liberté d’expression est devenue plus complexe que jamais. En effet, le paysage numérique façonne inexorablement nos pratiques sociales, transformant la manière dont nous interagissons et nous exprimons en ligne et en dehors des écrans.

Cette révolution numérique a des répercussions profondes sur nos interactions sociales, qui deviennent de plus en plus « distantes » en termes d’espace physique et pourtant, paradoxalement, moins nos corps sont exposés, plus notre vie privée est profondément perturbée.

En ligne on peut (presque) tout partager et dire, mais c’est précisément dans un environnement aux potentialités (presque) illimités qu’on assiste à la mise en scène de notre nature paradoxale : on n’a jamais autant exposé notre vie et, en même temps, on ne s’est jamais autant préoccupés de notre privacité. Par ailleurs, on ne s’est jamais autant exprimés sur tout et rien et on ne s’est jamais autant préoccupés du fait de ne pas pouvoir le faire.

Un discours sur la liberté d’expression en ligne pourrait donc paraître paradoxal, mais pourquoi reste-t-il très valide surtout lorsqu’on a affaire avec un environnement très libre ? Allons par ordre : aujourd’hui, il n’est désormais plus approprié de parler de liberté d’expression dans des termes traditionnels, et ceci parce que l’avènement de l’internet a métamorphosé la nature même de l’orateur, bouleversant ainsi la définition même du discours. Autrefois, la liberté d’expression était principalement liée à la capacité des individus à exprimer leurs opinions sans ingérence gouvernementale. Mais avec l’essor de l’Internet, cette dynamique a radicalement changé.

Un nouveau paradigme de communication

Les plateformes en ligne ont instauré un nouveau paradigme de communication, brouillant les frontières traditionnelles de l’expression. Dans le contexte contemporain, l’importance du discours touche à sa propagation en ligne.

La viralité (qui fait qu’un contenu se propage rapidement et à grande échelle sur internet grâce à un partage massif) exerce une influence sur la manière dont les gens communiquent et s’expriment.

Ainsi, bien avant de crier au scandale pour l’introduction de lois qui réglementent l’expression en ligne, il faudrait réfléchir à notre propre auto-censure dictée par l’environnement.

C’est exactement le fait d’être conscients de la potentielle portée de notre discours en ligne qui entraîne un processus de sélection et d’adaptation du discours, une sorte d’auto-régulation de notre propre liberté d’expression, aptes à façonner nos propos et à les adapter en fonction de certaines caractéristiques qui favorisent sa diffusion rapide et à grande échelle. Cette limitation ne signifie pas une modération du discours, bien au contraire ! Ce mécanisme peut, par exemple, privilégier le sensationnalisme ou la controverse en raison du succès que ces discours ont sur internet.

À cela, il faut ajouter la régulation de cette viralité par les algorithmes et les systèmes de régulation des plateformes en ligne, qui portent l’orateur à ajuster son volume de voix.

L’adaptation au fonctionnement des algorithmes est devenue une composante essentielle de la communication en ligne, influençant le discours des utilisateurs car la présence omniprésente des algorithmes sur les plateformes en ligne signifie que la visibilité et l’audibilité d’un discours dépendent également de leur interaction avec ces systèmes automatisés. Ces algorithmes agissent comme des intermédiaires puissants entre l’orateur et son auditoire. Ainsi, pour qu’un message soit véritablement entendu et amplifié, il doit être conçu non seulement pour le public humain, mais aussi pour répondre aux critères et aux fonctionnalités des algorithmes.

Cela soulève la question de la légitimité et du pouvoir de ces intermédiaires. Quel rôle devraient-ils jouer dans la régulation du discours en ligne? La question reste ouverte et nous amène à assister à des tentatives de régulation et de légifération à ce propos, comme celle sur la révision de la section 230 de la lois sur la liberté d’expression.

Les lois qui gouvernent l’internet n’ont rien à voir avec notre internet

Au-delà des scandales que cette révision a produits, il faut garder à l’esprit que les lois qui gouvernent l’internet n’ont rien à voir avec notre « internet ». Les défis auxquels les législateurs et les défenseurs des droits doivent faire face, tels que la gouvernance des plateformes en ligne et l’impact des algorithmes sur le discours public, n’ont pas été anticipés lors de la conception des lois sur la liberté d’expression.

Ainsi, les cadres réglementaires existants peuvent ne pas être adaptés pour répondre efficacement aux défis posés par les nouvelles technologies et les pratiques de communication en ligne. Il est donc nécessaire de repenser et d’adapter les réglementations afin de garantir que les principes fondamentaux de la liberté d’expression soient protégés et promus dans le contexte numérique moderne.

Entre vérité et censure gouvernementale

Lorsqu’on parle de liberté d’expression en ligne, on évoque souvent la diffusion de fausses informations et les restrictions, alors qu’internet offre la possibilité de rendre visibles des vérités autrement facilement censurées par les gouvernements.

Les atrocités du récent génocide en sont un exemple, et leur exposition en ligne permet d’ancrer le numérique dans la réalité, en diffusant la vérité et en promouvant la liberté d’expression malgré la répression gouvernementale (ici, les étudiants peuvent en témoigner une fois de plus).

Et même lorsque les gouvernements cherchent à opérer une censure sur internet, c’est grâce au mécanisme de la viralité dont on a parlé auparavant que leurs tentatives sont souvent ridiculisées. Comme l’a si bien dit un célèbre chanteur: « You can ban TikTok, take us out the algorithm
But it’s too late, we’ve seen the truth, we bear witness ».

Au-delà des côtés positifs et négatifs, il faut avoir conscience que, malgré les possibilités offertes par internet, aucune liberté n’est acquise pour toujours, peu importe la portée de la lutte qui a conduit à la conquérir. Ainsi, la liberté des sociétés démocratiques telle qu’on la connaît aujourd’hui est, de fait, déjà limitée dans son exercice, et ceci depuis bien des années. Au XIXe siècle, le philosophe John Stuart Mill définit la liberté en la limitant selon un principe qui est à la base de nos constitutions :

Chacun peut faire tout ce qu’il veut à condition de ne pas nuire à autrui.

John Stuart Mill

En effet, d’après le philosophe, la liberté, pour être telle, est de nature sociale : elle ne surgit pas de l’individualisme, mais plutôt de l’interaction sociale et de la collaboration entre les individus. Ainsi, la liberté est le résultat d’un processus dynamique d’échange d’idées, de valeurs et de perspectives, ainsi que de la reconnaissance mutuelle des droits et des libertés de chacun. « Ma liberté finit là où commence la tienne », mais aujourd’hui, plus que jamais, nous devons lutter ensemble pour que nos libertés demeurent intactes.