Le but de l’enseignement de Socrate, transmis avec sa propre mort et qui nous est rapportée par Platon dans l’Apologie de Socrate ainsi que dans le Phédon, c’est celui d’anéantir la peur envers la mort. Comment envisage-t-il donc d’anéantir la peur envers la mort ? En cherchant à démontrer que la mort n’est pas un anéantissement total de l’être. Pour ce faire, Socrate va aller jusqu’à la preuve extrême : il accepte sereinement d’être condamné à mort. Dans l’Apologie de Socrate, Platon remarque que le philosophe aurait pu fuir sa condamnation à mort « en utilisant les ressources de son esprit, mais (…) il n’avait pas voulu »1 le faire :
« Je l’affirme, je préfère mourir après une telle défense que de vivre à pareil prix. Car, pas plus au tribunal qu’à la guerre, personne, qu’il s’agisse de moi ou d’un autre, ne doit chercher par tous les moyens à se soustraire à la mort. (…) Dans chaque situation périlleuse, il y a bien de moyens d’échapper à la mort, si l’on ose faire et dire n’importe quoi. Mais attention, citoyens, il est moins difficile d’échapper à la mort qu’à la méchanceté. La méchanceté, en effet, court plus vite que la mort. »
Platon, Apologie de Socrate, 38e-39b2
Socrate, décide donc de servir d’exemple pour ses disciples : en acceptant sa condamnation (même si injuste) et en faisant « preuve d ’une tranquillité remarquable »3, il veut montrer que la mort n’est pas à craindre.

Mais pourquoi la mort n’est-elle pas à craindre ?
Socrate, tout comme le remarque Choron, gardait certainement à l’esprit l’enseignement pythagoricien d’après lequel « le corps est la prison de l’âme »4, par conséquent, la mort devient ainsi une façon de pouvoir fuir cette prison. Cette idée forme la base pour la théorie platonicienne de la séparation de l’âme et du corps5 où, pour répondre à la question relative à qui nous sommes, Socrate explique que l’être humain est formé par trois instances : l’âme (psychê), le corps (soma) et un mélange des deux (sunamphoteron). De ces trois substances qui est-ce que nous sommes ? Nous sommes notre âme. C’est pourquoi le philosophe doit se soucier de cultiver son âme, sans donner l’importance aux caprices du corps.
Le philosophe ne craint pas la mort et il arrive même à se demander si elle ne serait préférable à la vie :
« Considérons que les raisons sont nombreuses d’espérer que la mort soit un bien. »
Platon, Apologie de Socrate, 40c6
La mort n’est pas à craindre principalement pour deux raisons :
« Bien effectivement, celui qui est mort n’est plus rien et ne peut avoir aucune conscience de rien. »
Platon, Apologie de Socrate, 40c7
- En d’autres mots : pourquoi doit-on craindre quelque chose dont on n’en est pas conscients ? La mort en ce cas est comparée à un « sommeil sans rêves »8.
- La deuxième possibilité et raison pour ne pas craindre la mort est qu’elle représente la libération de l’âme du corps :
« Ou bien (la mort) (…) c’est un changement et, pour l’âme, un changement de domicile qui fait qu’elle passe d’un lieu à un autre. »
Platon, Apologie de Socrate, 40c9
Socrate ne prétend donc pas donner une réponse exacte à ce que c’est la mort, mais il se soucie d’expliquer pourquoi elle n’est pas à craindre. Ce que le philosophe peut faire, face à la mort, c’est de ne pas la craindre et l’accepter avec dignité, comme le remarque Choron : « l’homme est un être limité et fortuit mais sa grandeur réside en ce qu’il accepte sa condition humaine avec dignité et qu’il oppose à la mort une grande force de caractère »10.
En résumant, Socrate, avec ses derniers mots qui nous sont rapportés par Platon, nous laisse avec une question ouverte, celle relative au fait que « la mort est, peut-être, préférable à la vie »11 :
« Mais voici déjà l’heure de partir, moi pour mourir et vous pour vivre. De mon sort ou du vôtre, lequel est le meilleur ? La réponse reste incertaine pour tout le monde, sauf pour la divinité. »
Platon, Apologie de Socrate, 42a12
À suivre
La mort en philosophie ancienne : Platon (ca. 427-327 av. J.-C.)
1. Jacques Choron, La mort et la pensée occidentale, Paris, Payot, 1969, p. 34.
2. Platon, Apologie de Socrate, Présentation par Arnaud Macé, Traduction par Luc Brisson, Paris : GF Flammarion, 2017, p. 92.
3. Alexandrine Schniewind, La mort : Que sais-je ?, Paris, PUF, 2016, p. 18.
4. W. Kaufmann, Critique of Religion and Philosophy, New York : Harper, 1958, p. 29, cité en : Jacques Choron, La mort et la pensée occidentale, op. cit., pp. 34-35.
5. Telle qu’elle est expliquée dans l’Alcibiade.
6. Platon, Apologie de Socrate, Présentation par Arnaud Macé, Traduction par Luc Brisson, Paris : GF Flammarion, 2017, p. 94.
7. Ibid.
8. Jacques Choron, La mort et la pensée occidentale, op. cit., p. 34.
9. Platon, Apologie de Socrate, op. cit., pp. 94-95.
10. Jacques Choron, La mort et la pensée occidentale, op. cit., p. 34.
11. Id., p. 33.
12. Platon, Apologie de Socrate, op. cit., p. 97.