La question relative à l’angoisse éprouvée envers la mort semble être intrinsèque à l’homme. De fait, l’être humain, d’un côté, il craint ce qu’il ne connaît pas. D’autre côté, il est extrêmement conscient de sa finitude, c’est-à-dire du fait que mort signifie anéantissement, fin, point de non-retour. La mort, ce phénomène inévitable, se prête depuis l’antiquité aux interprétations les plus variées qui portent sur l’explication de ce à quoi pourrait ressembler la vie dans l’au-delà. Pour ce qui tient à la Grèce ancienne, on peut remarquer que la conception de la mort telle qu’elle était avant l’avent de la philosophie (ils nous en sont témoins les poètes) est caractérisée par un double mouvement : d’un côté, on a un mouvement d’élan et amour envers la vie et, d’autre côté, on possède une conscience extrême de la fragilité et de la finitude de la vie.

La culture grecque hérite de l’Égypte ancienne l’extrême importance relative aux rites funéraires, importance que les poètes ne cessent pas de rappeler. Si les vivants, à différence de la croyance égyptienne, ne peuvent presque rien faire pour aider le mort dans sa vie dans l’au-delà, ils lui doivent une digne sépulture. De fait, en Grèce ancienne, « priver un mort de funérailles, ce n’est pas seulement le punir lui, mais c’est aussi infliger à ses proches de terribles douleurs et inquiétudes »1. Pour ce qui tient à l’importance d’une sépulture correcte, il nous suffirait de penser à l’Antigone de Sophocle, où Antigone était prête à sacrifier sa vie afin de pouvoir enterrer son frère Polynice2, car priver un mort de sa sépulture « revient à empêcher ce dernier d’entrer dans le royaume des morts et l’oblige à errer parmi les vivants »3.
À côté de l’importance des funérailles, il faut aussi savoir que pour les Grecs l’au-delà ou, mieux dit, l’inframonde (le monde inférieur) était conçu comme étant un lieu horrible. Ce monde était aussi nommé monde des ombres, ce qui peut déjà nous suggérer l’idée philosophique de la dichotomie entre corps et âme, car ce n’était que la partie immatérielle de l’homme qui pouvait y accéder. La vision de l’inframonde la plus répandue était celle d’après laquelle le mort, une fois que, porté par Charon, il avait traversé le fleuve du Styx, était jugé par les trois terribles juges « Minos, Eaque et Rhadamanthe »4 et il commençait sa vie dans cet inframonde. Bien que celle d’un inframonde abominable était la vision la plus répandue, on en trouvait aussi une autre : la vision des cultes « orphiques »5. D’après ces cultes, dans l’au-delà, il existait aussi un lieu magnifique qui était destiné aux « sages »6 et aux « Héros »7 : les « Champs Elysées »8. On pourrait avancer l’hypothèse d’après laquelle cette idée d’un au-delà qui se caractérise par l’existence d’un lieu horrible et d’un lieu magnifique sera reprise par la religion chrétienne, avec la différence qu’au paradis chrétien peuvent accéder non seulement les sages et les héros, c’est-à-dire des personnes d’exceptions, mais on a tous la possibilité d’y accéder, si l’on se tient à celle qu’on pourrait appeler, de façon laïque, une certaine éthique.
La philosophie ancienne se développe autour de la question métaphysique par excellence, celle de la mort, avec le but d’expliquer pourquoi il ne faut pas la craindre, le but ultime étant celui de faire que les personnes puissent vivre bien. De fait, la mort est bien quelque chose d’inévitable et quotidien depuis toujours : elle fait partie de la vie, et les Grecs en étaient bien conscients. Il faut savoir que cette prise de conscience ne faisait qu’augmenter encore plus la peur envers la mort. Cette peur ne portait pas principalement sur l’acte de mourir, mais elle concernait plutôt le destin terrible qui attendait le mort dans l’au-delà. C’est bien grâce à cette « conscience de la mort »9 que l’homme a pu développer une « réflexion métaphysique »10.
À suivre…
La réflexion sur la mort est une réflexion sur la vie.
- Alexandrine Schniewind, La mort : Que sais-je ?, Paris, PUF, 2016, p. 15.
- Id., voir annexe 1 : Antigone.
- Id., p. 16.
- Jacques Choron, La mort et la pensée occidentale, Paris, Payot, 1969, p. 24.
- Id., p. 25.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Alexandrine Schniewind, Id., p. 9.
- Id., p. 10.