J’ai pensé au fait d’avoir des enfants seulement au moment où j’ai pris conscience des problèmes qui pourraient rendre cela impossible. Assimilant les défauts et problèmes de mon corps, je suis revenue au point de départ où un chien qui aboie ne me cause aucun souci, contrairement à la sensation d’injustice éprouvée lorsque je me demande pourquoi je devrais subir les cris d’un enfant au supermarché alors que moi je n’en veux pas. C’est alors que j’ai réalisé : ma quête de bonheur résidait principalement dans la liberté d’avoir la possibilité de décider de et pour mon propre corps. Prise conscience de cela, j’ai recommencé à faire partie d’une minorité encore trop critiquée : la femme trentenaire qui ne veut pas d’enfants.

Les Droits des Femmes : un combat inachevé
Dans notre société, en tant que femme, on a atteint certains objectifs (minimaux j’oserais dire) en matière de défense de nos droits. On a conquis les pantalons et le droit de vote, mais nous sommes encore loin de pouvoir marcher tranquillement dans la rue la nuit pour rentrer chez soi ou de la parité salariale (encore et toujours calculée sur la base du fait qu’on aura, un jour, des enfants qui nous éloigneront du travail).
Nous avons lutté pour le droit à l’avortement et dénoncé les injustices et abus, mais si, en tant que femmes, on n’a pas encore la liberté sociale et corporelle de pouvoir tranquillement déclarer sans chercher des excuses ou devoir justifier pourquoi on ne veut pas d’enfants… alors toute cette lutte et les proclamations féministes sont bien inutiles.
On vit encore dans une société où les normes traditionnelles de la famille et de la parentalité sont profondément enracinées, au point d’être devenues implicites et, pour cela, difficiles à détecter. Les femmes qui ne suivent pas ce chemin fondamental sans raisons indépendantes de leur volonté (il ne manquerait plus qu’une femme utilise sa propre volonté !) comme l’infertilité, se retrouvent inévitablement confrontées à des jugements et des pressions sociales. Le sujet devient alors un tabou, au même titre que les tabous sexuels : ne vit-elle pas que pour du plaisir sans accomplir la fin ultime pour laquelle ce plaisir a été pensé, depuis la nuit des temps ?
« Pas d’enfants ? Et pourquoi ? Ne te sens-tu pas incomplète ? Et ton mari qu’en pense-t-il ? Les enfants sont la plus grande joie de la vie… Tu n’en veut pas? C’est ce qu’on dit toutes, mais après ça te change la vie ! »
Oui, indubitablement, pour le mieux ? Et oui, madame, (car ce sont aussi souvent des femmes celles contre lesquelles on se retrouve à devoir se défendre), tout cela est sans doute vrai pour ceux qui souhaitent en avoir. Nous en sommes la preuve vivante.
L’éthique de l’autonomie personnelle, cette grande inconnue
Mais comment expliquer l’éthique de l’autonomie personnelle, selon laquelle j’ai le choix, en tant qu’être humain, indépendamment de ma biologie, de choisir ce qui constitue ma version de bonheur et d’accomplissement dans ma vie personnelle ? Si cela est aujourd’hui socialement accepté pour la sphère du travail, pourquoi ne l’est-il pas pour la sphère intime ? Pourquoi devoir justifier qu’une femme défie sa forme biologique pour laquelle elle a été créée : vaisseau de nouvelle vie, au nom de sa propre liberté personnelle et de choix ? La liberté et l’auto-affirmation ne sont jamais et ne doivent jamais être, à sens unique. Seuls les parents traditionnels ne sont pas égoïstes ?
La vérité est que chaque être humain est sur terre pour poursuivre son propre bonheur. Il y a ceux qui, pour ce faire, ont besoin de procréer. Il y a ceux qui n’en ont pas besoin. Il faut vous y faire.
Y a-t-il des libertés qui comptent moins que d’autres ? Y a-t-il des libertés plus légitimes que d’autres qui doivent nécessairement être noyées sous le flot de la volonté de quelqu’un d’autre, Dieu ou la nature, comme disait Spinoza ?
En réfléchissant sur la liberté individuelle, des philosophes comme John Stuart Mill et Jean-Paul Sartre ont mis en avant l’importance de l’autonomie personnelle et de la liberté de choisir son propre chemin vers le bonheur.
Pour Mill, la liberté est essentielle pour le développement et l’épanouissement de l’individu, permettant à chacun de poursuivre sa propre conception du bien-être sans l’interférence indue des autres.
Sartre, quant à lui, insiste sur la notion de responsabilité et d’authenticité, soulignant que chaque individu doit assumer la liberté de ses choix et vivre en accord avec ses valeurs profondes.
Ainsi, la décision de ne pas avoir d’enfants, loin d’être un acte d’égoïsme, peut être vue comme l’expression la plus pure de l’autonomie et de l’authenticité, une affirmation du droit de chaque individu à définir et à poursuivre sa propre joie. Bien entendu, ces philosophes n’étaient pas des femmes portées à devoir se justifier de leur propres choix sur leur propre corps.
Dans cette optique, la liberté de choisir de ne pas avoir d’enfants s’inscrit dans un cadre philosophique plus large de respect de l’autonomie individuelle.
Chaque personne doit pouvoir décider de sa propre vie sans être jugée par des normes sociales imposées ou des attentes traditionnelles. Respecter cette liberté, c’est reconnaître la diversité des chemins de vie et accepter que le bonheur et l’épanouissement ne sont pas uniformes, mais multiples et variés.
C’est admettre que le sens de la vie et la joie ne résident pas nécessairement dans la procréation, mais dans la quête personnelle de chaque individu pour trouver ce qui lui donne un sentiment de plénitude et de satisfaction : réservons à chaque être humain et à ses choix le plus grand respect.