Ces derniers jours, j’avais bien du mal à trouver un sujet pour le prochain post de ce blog. Chaque idée qui me venait semblait trop grave, trop chargée, trop… « philosophie du mal » d’Hannah Arendt appliquée à la situation géopolitique actuelle. Et franchement, entre deux actualités anxiogènes et trois insomnies existentielles, je n’avais pas la force de plonger, encore, dans les abîmes du totalitarisme (pour le moment).
C’est alors qu’une conversation en apparence anodine m’a ouvert une autre voie. Un échange banal, presque idiot, avec une amie sur Instagram. Elle m’envoie (pour la quinzième fois ce mois-ci) un mème représentant Pedro Pascal, affublé du désormais rituel « Internet’s daddy ». Cette fois, il ne s’agissait pas d’un montage de lui entouré de cœurs, ni d’une femme réagissant à son dernier shooting pour Vanity Fair, ni d’un extrait d’interview où il rit comme s’il s’excusait d’exister. Non, juste un message avec ce texte :
« Je veux qu’il me borde avec une couverture en laine et m’explique pourquoi je mérite l’amour. »
Et là, ça m’a frappée.
Pas elle. La réalité.
Si tant de gens fantasment sur lui, ce n’est pas un simple effet de mode. Il y a là quelque chose qui touche à notre époque, à nos désirs, à notre rapport au masculin. Et si ce “daddy collectif” était, en réalité, le symptôme, voire l’annonce, d’une transformation bien plus profonde de la société ?

Alors plutôt que de philosopher sur le mal, parlons d’un homme qui incarne peut-être le bien. Ou, du moins, une masculinité qui ne fait plus de mal.
Car si l’acteur suscite autant d’engouement, ce n’est pas uniquement pour son jeu ou son sourire en coin. C’est parce qu’il est devenu, presque malgré lui, la sublimation en image d’un sentiment collectif. Il cristallise un désir diffus, difficile à nommer, mais de plus en plus partagé : celui d’une autre manière d’être homme.
Dans un monde saturé de masculinités brutales, conquérantes, sûres d’elles-mêmes jusqu’à l’arrogance, Pedro Pascal apparaît comme un contre-modèle. Il ne vient pas avec des slogans ou des manifestes, mais avec une posture, une attitude, une présence. Il ne domine pas, il accompagne. Il ne parle pas fort, il répond doucement. Il ne prend pas toute la place, il en dégage pour les autres.
Et c’est précisément cela qui le rend si désirable.
Le mâle alpha ne fait plus rêver (et c’est tant mieux)
Nous vivons une époque charnière où les figures traditionnelles de virilité sont de plus en plus contestées. Ce que ces images de Pedro Pascal révèlent, et rendent tolérable, même désirable, c’est une mutation de la figure masculine. Le vieux modèle viril, hérité du patriarcat industriel et guerrier, est en perte de vitesse : l’homme fort, stoïque, dominateur, indifférent à ses émotions comme à celles des autres suscite aujourd’hui autant de méfiance que de lassitude. Pire : il fatigue, il fait peur, il fait mal.
La virilité “classique” ne fonctionne plus. Elle isole, elle blesse, elle engendre des violences qu’on ne veut plus tolérer. Mais face à cette désaffection, aucune alternative stable n’a encore pris le relais.
C’est ce que la sociologue Raewyn Connell appelle la « désorientation du genre dominant » : le masculin n’est pas encore sorti du patriarcat, mais il a cessé d’y croire pleinement.
C’est dans cet espace d’incertitude que s’inscrit la popularité de l’acteur. Il n’est pas un révolutionnaire, ni un penseur du genre. Mais il habite autrement la masculinité. Il offre une version plausible, presque rassurante, de ce que peut être un homme aujourd’hui : vulnérable sans être effacé, protecteur sans être oppressant, attentionné sans être effrayé de l’être.
En cela, il rejoint ce que la philosophe Judith Butler nomme « la performativité du genre ». Pour Butler, on ne « naît » pas homme ou femme, on le devient à travers des actes, des postures, des discours.
Le genre est un faire, pas un être.
Ainsi, Pedro Pascal, en tant que figure publique, propose une autre performance de la masculinité. Il ne joue pas un « homme » au sens figé : il performe une masculinité ouverte, sensible, poreuse. Non plus l’affirmation de soi par la force ou la compétition, mais par la douceur, l’humour, l’attention aux autres. Il ne brise pas les codes de la virilité : il les élargit.
Un produit marketing… mais un révélateur puissant
En ce sens, son succès est moins une exception qu’un symptôme culturel. Il n’a pas besoin de dire « je suis un nouvel homme » : il le performe, discrètement, sans théâtralité. Et cela suffit à déclencher un désir collectif. Car ce que l’on désire à travers lui, c’est peut-être la fin d’un système : la fin de la domination virile comme horizon obligé du masculin. Il montre que la masculinité peut être réinventée sans être annihilée.
Et même si cette image publique est, en partie, le fruit du travail bien rodé de son publiciste, soigneusement construite pour le rendre attachant, fréquentable, désirable, cela ne change rien à l’essentiel. Ce qui importe, ce n’est pas lui, mais la réaction collective qu’il suscite.
Ce n’est pas tant Pedro Pascal en tant qu’individu qui est intéressant, mais ce que sa réception révèle : un ras-le-bol généralisé de la vieille masculinité, autoritaire, rigide, étouffante.
Un homme qui ne fait pas peur, c’est déjà un fantasme politique
Dans une société fatiguée par le machisme toxique, dans ses versions triviales (mansplaining, domination sexuelle, contrôle) comme systémiques (violences conjugales, inégalités salariales, monopole du pouvoir), l’imaginaire collectif semble chercher des figures alternatives.
Pascal devient alors une surface de projection. Il est ce que l’on attend : un homme sans domination, une autorité sans autoritarisme, un corps masculin qui ne menace pas. L’aimer, ce n’est pas simplement craquer pour un acteur, c’est refuser la domination virile, même inconsciemment.
L’homme du futur ? Juste un mec bien. Enfin.
Ce que Pedro Pascal symbolise, au fond, c’est une masculinité en transition. Une masculinité post-patriarcale qui n’a pas encore de nom, mais qui cherche à se dire, à se rendre visible. Il ne s’agit pas de le sanctifier, ni d’en faire un messie du féminisme. Il reste un homme dans une industrie profondément sexiste, avec les privilèges que cela implique. Mais le fait qu’il soit aujourd’hui perçu comme désirable précisément parce qu’il est doux, respectueux, vulnérable, et non malgré cela, est en soi un symptôme réjouissant.
Peut-être est-ce cela, la révolution silencieuse : non pas abolir la masculinité, mais la libérer du poids qu’elle s’impose à elle-même depuis trop longtemps. Rompre avec l’idée que l’homme doit être fort, dominant, imperméable. Ouvrir l’imaginaire collectif à d’autres manières d’être un homme : non pas en opposition aux femmes, mais en relation avec elles, et avec soi-même.
Non, Pascal ne renversera pas le patriarcat à lui seul. Ce n’est pas un penseur ni un militant, c’est un acteur. Mais c’est précisément parce qu’il est une figure publique, une icône façonnée par l’industrie, qu’il est révélateur. Ce que l’on projette sur lui, ce que l’on désire à travers lui, dit quelque chose de nous, ici et maintenant.
Dans cette époque saturée de crises et de tensions, il n’est pas anodin que ce qui attire ne soit plus la toute-puissance virile, mais la tendresse, la fatigue assumée, la douceur. Peut-être même la capacité à prendre soin.
Alors si quelqu’un devient, l’espace d’un moment, le visage d’un masculin qu’on ne craint plus, qu’on ne subit plus (qu’on peut enfin aimer sans se trahir !)… tant mieux.
Car s’il plaît autant, ce n’est pas parce qu’il est exceptionnel, mais parce que les autres hommes refusent encore de l’être.
Et quand le simple fait de ne pas être un connard devient érotique,
c’est que quelque chose cloche.
Et que quelque chose change.